SYRIZA ABAT SES DERNIÈRES CARTES, ET APRÈS ? par François Leclerc

Billet invité

Le dénouement approche donc, et l’équipe de Syriza joue ses dernières cartes. Alexis Tsipras se rend à Moscou à l’invitation de Vladimir Poutine, laissant planer la menace de perturber le jeu des sanctions prises par l’Union européenne contre la Russie, car elles nécessitent l’unanimité. Yanis Varoufakis s’envole pour Washington, afin de rencontrer Christine Lagarde et de mieux évaluer la durée de la période de grâce dont le gouvernement grec pourra bénéficier avant que le FMI ne déclare formellement un défaut. Il est enfin tenté d’accréditer l’existence d’un plan B, destiné à se placer dans une fragile situation d’attente en se finançant avec les moyens de fortune que représenterait l’émission de lettres de crédit auprès d’États y trouvant leur intérêt comme la Chine et la Russie, une fois que la BCE aura fermé le robinet des liquidités d’urgence.

L’équipe de Syria reste déterminée et ne donne aucun signe de préparation de sa reddition, plaçant les autorités européennes au pied du mur, elles qui ont toujours déclaré qu’une sortie de la Grèce de la zone euro était à leurs yeux « impensable ». Aux États donc – Syriza ayant fait ses concessions sans contrepartie – de tempérer leurs exigences et de cesser de réclamer l’adoption de mesures que même Antonis Samaras avait refusé d’accepter. Le message est clair : « ne comptez pas sur nous pour nous renier et faire le sale boulot ! ». Pour le rendre crédible, le choix est fait d’entrer dans une ultime stratégie de tension, quitte à prendre le risque que la situation échappe des mains de tout le monde.

Afin d’évaluer les conséquences d’une sortie de la zone euro de la Grèce, les analyses ne manquent pas et tendent à les minimiser, sans toutefois donner clairement les raisons pour lesquelles une telle sortie est néanmoins « impensable ». Pourquoi en effet se refuser à envisager ce départ si le système bancaire n’est plus réellement menacé, comme c’était auparavant le cas ? Ne serait-ce pas parce que les États et l’Eurosystème, les nouveaux créanciers, en feraient dorénavant les frais, la Grèce n’allant plus être en mesure de rembourser sa dette et même de la faire rouler faute de nouveaux financements, si la rupture est consommée ? 240 milliards d’euros sont en jeu et tirer ne serait-ce que partiellement un trait sur cette créance globale pourrait avoir de fâcheuses conséquences politiques et électorales s’ajoutant aux actuelles.

Selon ce scénario, la dette sera encore moins soutenable qu’elle ne l’est déjà, en raison de l’effondrement prévisible de l’économie grecque, sans autre choix au final que de la restructurer à la hussarde pour sauver ce qui pourra encore l’être. Somme toute, déclarée aujourd’hui « impensable » elle aussi, une décote forcée de la grecque ne le sera plus demain, faute d’avoir été négociée dans de meilleurs conditions. Encore une réussite de programmée !

Le FMI se trouvera dans une situation délicate, conduit à négocier un prêt avec un État coupé de toutes les sources de financement, devant exiger de lui en vertu de ses pratiques standards des mesures avec lesquelles il a précédemment lui-même pris ses distances en reconnaissant une mauvaise estimation du « coefficient multiplicateur budgétaire » (effet du déficit sur le PIB). Afin d’éviter une décote de la dette et de permettre à tous les créanciers de sauver la face, le fonds pourra toujours chercher à biaiser et expérimenter la nouvelle option qu’il étudie, faite de baisse des taux et d’allongement du calendrier de remboursement. Mais cela ne la rendra pas soutenable pour autant – en raison de ses conditionnalités et de l’approfondissement de la récession – faisant d’un État sous tutelle un État-zombie au sein de l’Union européenne.

Le pli est pris de qualifier « d’impensable » ce que l’on veut absolument éviter et qui devient donc inconcevable. Cela provient d’une défausse qui renvoie au déni qui ne cesse de produire des manifestations, étant devenu une seconde nature.